Virginie Megglé est psychanalyste. Elle est spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Sa pratique s’étend aux constellations familiales, au transgénérationnel et à la psychosomatique. Elle est aussi la fondatrice de l’association et du site Psychanalyse en mouvement. Avec Frères, sœurs – guérir de ses blessures d’enfance, sortie le 9 mars en librairie, Virginie Megglé co-signe avec Alix Leduc un ouvrage édifiant sur les rapports, souvent conflictuels, au sein de la fratrie.
Pour vous, elle a accepté de répondre à nos questions et de nous parler des relations entre frères et sœurs qu’elle traite dans son livre Frères, sœurs – guérir de ses blessures d’enfance.
– Recevez-vous beaucoup de personnes en consultation pour des souffrances liées à la fratrie ? Pour quelles raisons, causes (liées à la fratrie) viennent-elles le plus souvent vous voir ?
Oui, de nombreuses personnes. Les liens dans une fratrie prennent une place importante dans le cadre de la psychothérapie. Ils sont au cœur de nombreuses difficultés rencontrées dans l’enfance. Le plus souvent elles auront été enfouies par générosité ou par survie, mais elles resurgissent et se « rejouent » lors des grands événements familiaux : mariage, décès, naissances, maladies, etc. Et, bien sûr, à l’occasion d’un héritage. C’est souvent à l’occasion de tels événements, ou lors de la célébration d’un anniversaire ou de fêtes rituelles que surgissent les problèmes qui couvaient en réalité depuis l’enfance. Sans compter les enfants uniques qui livrent leur souffrance de ne pas avoir de frère ni de sœur !
Un grand nombre de souffrances exprimées par les adolescents aujourd’hui – anorexie, boulimie et troubles des conduites alimentaires en général, addictions, et autres troubles plus graves – peuvent être résolues en se mettant à l’écoute de ce qui s’est joué dans la fratrie directe ou celle de ses parents. Notre enfance et les problèmes que nous avons rencontrés alors continuent à se faire entendre tout au long de notre vie, de façon plus ou moins consciente, plus ou moins évidente. Mais le plus souvent, douloureusement. Même lorsque les personnes viennent me consulter pour un problème non directement lié à la fratrie, arrive toujours le moment où la question sera soulevée. Que ce soit pour ses propres frères et sœurs, ou demi-frères et demi-sœurs, dans les cas de familles recomposées. Mais les problèmes des frères et sœurs de ses propres parents ou bien encore ceux de son conjoint finissent toujours par faire surface. Par exemple, ces oncles, ces tantes dont on entend parler et que l’on ne voit jamais. Souvent les enfants devinent les mésententes entre leurs parents et les frères et sœurs de ceux-ci.
La question de l’amour entre eux, dans leur fratrie, se pose quand ils sentent ou savent que leur père ou leur mère a une relation conflictuelle avec un frère, une sœur, ou sa fratrie dans son ensemble.
Devenus adultes, lorsqu’ils viennent me voir, ce sont ses questions qui finissent par se soulever. Comme si elles les empêchaient d’avancer. Il arrive aussi que des personnes viennent me voir parce qu’elles se font du souci pour un frère ou une sœur, qui semble mal dans sa peau, qui est anorexique, ou dont l’enfant est souffrant, par exemple.
Il se révèle que c’est le lien lui-même qui est problématique : quand on parle d’un frère ou d’une sœur on parle aussi de soi. Tous les cas de figure présentés dans le livre ont été soulevés dans le cadre de ma pratique. Plusieurs des situations proposées pouvant se trouver regroupées dans une même problématique familiale.
– Le livre réunit de très nombreux témoignages… Quelles sont les blessures, douleurs qui ressortent le plus souvent ?
Bien sûr les cas où un enfant est décédé. C’est toujours très délicat. Car il ne suffit pas d’en parler. Il faut se donner le droit de vivre sans culpabiliser. Le cas où un aîné est mal portant, d’un point de vue physique ou psychologique. Il faut que les plus jeunes se donnent le droit de grandir, de mûrir. De sortir de l’enfance. La question de la place : celle de l’enfant du milieu est connue pour être difficile à vivre. Mais de fait, elles le sont toutes, même si en apparence un aîné semble mieux loti, ou un « petit dernier » plus gâté par la vie ! Les familles nombreuses, il y en a encore beaucoup : au premier abord, elles semblent toujours unies, mais là aussi se pose la question de la place. Chaque enfant ayant souffert, au-delà des apparences et des aveux premiers, d’un manque de place sans pour autant oser se plaindre de manque d’amour…
Cela peut se traduire par la peur de manquer ou par une difficulté à s’épanouir sur un plan affectif alors que l’on en ressent le besoin.
– Pourquoi est-il important de reconnaître ses souffrances ?
Reconnaître ses souffrances psychiques, c’est comme reconnaître une blessure physique. Lorsque, par crainte de souffrir, on veut fermer les yeux dessus, elle empire. Oui la reconnaissance semble douloureuse, et elle l’est dans un premier temps, mais c’est grâce à elle que l’on peut commencer à prendre soin de soi. Et paradoxalement, à moins souffrir.
Prendre sa souffrance en considération, sans plus en avoir honte, par exemple, produit un effet de soulagement. Souvent, c’est par peur que l’on ne veut pas aller voir du côté de ce qui fait mal : peur d’avoir plus mal ou peur de faire du mal. Et pourtant, lorsque l’on ose faire le pas, pour comprendre ce qui motive la souffrance, pour la résoudre, on en sort allégé, le cœur apaisé ; avec la sensation d’être mieux épanoui. Moins souffrant. L’énergie que l’on mettait pour dissimuler ses souffrances est libérée et peut être mise au service de la créativité. Et de l’expression de l’amour.
C’est important aussi pour notre entourage : que ce soit notre conjoint – à qui on fait subir nos malaises et nos mésententes – ou nos enfants – qui en subissent ouvertement ou non les répercussions, forcément négatives.
– Dans quelle mesure nos liens frères/sœurs peuvent-ils influencer notre vie à l’âge adulte ?
C’est dans l’enfance que nous acquérons le style de vie, le style de personnalité, à travers lequel nous nous définirons ultérieurement dans la société.
Nous avons tendance, sans en avoir toujours conscience, à projeter sur notre entourage ce style de relation acquis dans nos premières années. Dans le monde professionnel, un collègue de travail peut « représenter » notre frère, une supérieure hiérarchique, notre grande sœur. Nos relations sont calquées sur ces relations premières. Nous n’en sommes pas toujours conscients et pourtant nous retrouvons les mêmes problématiques qui se sont posées à nous enfants. Et c’est l’enfant en nous qui bien souvent continue à vouloir se faire entendre, selon le même modèle relationnel.
Dans le cadre familial, notre position dans la fratrie a déterminé un grand nombre de nos comportements. Sans toujours en avoir conscience, nous continuons à nous conduire en famille, comme si nous n’étions jamais sortis de l’enfance : quel que soit notre âge nous restons le « petit de l’autre »… Ou le plus grand que l’autre. Ou le préféré de Maman. Ou le vilain petit canard. Ce sont les mêmes disputes, les mêmes mésententes qui ressortent.
Quand nous osons nous libérer de nos souffrances enfantines, nous sortons de cette dépendance. Et nous nous donnons le droit d’être. Tout simplement.
– Pensez-vous que l’on peut guérir à n’importe quel âge de nos blessures d’enfance ?
Oh ! Oui ! Il n’est jamais trop tard pour prendre soin de soi ! C’est ce qui est vraiment extraordinaire, c’est cette possibilité de progresser qui nous est donnée. On a l’impression que notre cœur s’agrandit. C’est un vrai travail qui ne peut s’accomplir que dans un climat de bienveillance absolue. Quand on a pris l’habitude de dissimuler, de « prendre sur soi », il est délicat dans un premier temps de se remettre en question. Il s’agit de renoncer à des certitudes que l’on avait adoptées par survie ou par éducation. Mais quand vient le jour où la souffrance est trop forte, ou l’envie de se sentir plus libre, quel que soit l’âge on peut apprendre à mieux vivre cette relation.
– Si vous deviez citer un film sur la fratrie ?
Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin car il rassemble plusieurs problématiques ; il décrit très bien la souffrance et la difficulté à grandir que cause cette souffrance.
Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret avec Mélanie Laurent, Kad Merad et Isabelle Renauld, est un très joli film qui met bien en scène la relation entre un frère et une sœur.
Le fils préféré de Nicole Garcia pour la relation entre frères.
La bûche de Danièle Thompson, pour la relation entre sœurs.
Un grand merci à Virginie Megglé pour avoir répondu à nos questions !
Pour découvrir plus d'informations sur le livre, c'est par ici !
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